Le palmarès des coops et des négoces
Résilience. C’est le qualificatif qui ressort face à des entreprises qui tiennent la route dans un univers qui peut être vite chahuté et pousse à s’adapter, à être agile et à s’organiser pour mieux supporter les à-coups. Les réponses aux questions sont dans les champs ou les silos et, surtout, dans le cœur des hommes et femmes qui se lèvent chaque jour pour des métiers passions et auxquels la société demande de faire des pas de géants quand elle-même pratique la politique des petits pas. Notre revue peut témoigner de vos efforts et continuera de le faire.
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« Ensemble, investissons dans des pratiques durables pour nourrir le monde de manière responsable », écrit Julien Bertrand, technico-commercial du négoce Charrière Distribution (Gard) dans un post LinkedIn, en appuyant son propos par une photo de couvert végétal. Et il souligne le rôle essentiel de ce couvert, « gardien de notre avenir agricole », et celui des TC dans la préservation des sols, laquelle « est au cœur de notre mission de technicien agricole ».
Effet boomerang
Ce message illustre en fait l’ubuesque de la situation autour de la législation sur la séparation du conseil de la vente en phytos. Il démontre que les équipes des coopératives et négoces, accompagnant au quotidien les agriculteurs, ne se résument pas à de simples vendeuses de produits et ont conscience des enjeux. Et à vouloir pousser le balancier trop loin avec des mesures déconnectées de la réalité du terrain, on finit par avoir un effet boomerang. En effet, les pouvoirs publics ne vont pas avoir d’autre issue que de reconnaître l’échec d’une législation née d’une promesse de campagne. Le rapport de synthèse de Dominique Potier (lire encadré ci-dessous) ne mâche pas les mots d’une enquête parlementaire qui pointe les défaillances d’une réglementation à laquelle la profession n’a jamais adhéré. Reste à voir la suite qui sera donnée. Lors du congrès de travail de La Coopération agricole, mi-décembre à Dijon, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a annoncé qu’un véhicule législatif devrait être prévu en 2024 pour revoir la copie.
Un exercice moins difficile que prévu
Cet épisode législatif de la séparation, jugé plus que fâcheux, a généré nombre de discussions, réflexions, réorganisations et a beaucoup déconcerté, mais, quelque part, malgré tout, n’a-t-il pas participé à toute une dynamique qui pousse à aller chercher le meilleur en se lançant dans des plans de montée en compétences des équipes, notamment en matière de pratiques agroécologiques et d’agronomie ? Des parcours de formation ont ainsi vu le jour, à l’image de la formation Badge de NatUp, conçue avec UniLaSalle. La vie n’est pas une grande ligne droite et pour nous amener à un point B, elle peut nous faire passer par toutes les lettres de l’alphabet, dépassant alors notre entendement. Mais pour plagier Nietzsche, ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Et la résilience est en effet au rendez-vous. Ainsi, malgré la conjoncture compliquée il y a un an augurant d’une année 2023 difficile, le dernier exercice s’est plutôt assez bien déroulé, d’après les remontées positives de la plupart des AG de coopératives qui ont essaimé en fin d’année.
De quoi inverser les panneaux
L’inflation peut toutefois grever les comptes et fait d’ailleurs bondir les chiffres : Agrial, qui a dépassé les 7 Mds€ de CA (voir notre top 40 des coopératives et des négoces), explique ainsi que son milliard de croissance gagné en un an est finalement parti dans la hausse des matières premières agricoles, du carton, du plastique et des salaires. Cette inflation touche aussi les trésoreries des agriculteurs et des consommateurs qui modifient leurs actes d’achat. Ce dernier constat amène d’ailleurs le président de La Coopération agricole, Dominique Chargé, à interpeller le gouvernement pour obtenir « un choc de simplification et de compétitivité afin de pouvoir revenir à l’initiative sur les entrées et milieux de gammes pour reconquérir aussi ces filières-là ». Tout en rejetant l’idée d’une décroissance « qui n’est pas une option, car il faut développer l’activité agricole et alimentaire pour répondre aux problématiques de souveraineté alimentaire ». Mais voilà, il y a de quoi également inverser les panneaux puisque, comme il le fait remarquer, « nous avons fait ce que l’on nous a demandé : la montée en gamme, prendre le train de la décarbonation et des transitions écologiques. Et, aujourd’hui, on nous explique que cela coûte trop cher et que le consommateur ne peut pas payer. » La planification écologique, en cours de discussion à ce jour avec les parties prenantes, va-t-elle changer la donne en amenant les pouvoirs publics à mieux accompagner les enjeux actuels ?
Aider à la transmission
Parmi ces enjeux, le renouvellement des générations qui est au cœur du pacte d’orientation et d’avenir agricoles dévoilé le 15 décembre. Dans les mesures citées, les structures qui veulent accompagner les porteurs de projets orientés vers elles depuis un guichet unique vont devoir être agréées sur la base d’un cahier des charges. Et 2 Mds€ de prêts garantis par l’État seront déployés pour soutenir l’installation. Le financement étant souvent un frein, des plateformes d’investissement se sont d’ailleurs créées ces dernières années. L’une d’elles, Hectarea, cherche à se rapprocher du monde des coopératives et négoces. « Nous avons amorcé des discussions avec certaines coopératives. Nous voulons les aider dans la transmission des exploitations ou l’installation », relate Paul Rodrigues, cofondateur de la start-up créée en 2022 et qui rassemble plus de 1 500 investisseurs particuliers. « Nous finançons uniquement le foncier et veillons à financer des projets viables qui ont du sens. » De son côté, Feve (Ferme en vie) est prêt à entamer des réflexions avec différents acteurs « sur la base du modèle que nous poussons : l’agroécologie et le bio », précise Simon Bestel, un de ses cofondateurs. Avec leur foncière faisant aussi appel à l’épargne citoyenne, une quinzaine de fermes ont été rachetées en 2023. L’objectif est d’en reprendre 20 à 30 en 2024 et entre 100 et 200 par an d’ici quatre à cinq ans. Un des reproches d’ailleurs fait au pacte d’orientation est l’absence d’un volet foncier et d’un volet sur les transitions climatiques et écologiques, prévu à l’origine.
Le Carbon experts
Si, sur le premier volet, coops et négoces sont très peu investis à ce jour, sur le second, ces entreprises se mobilisent fortement ces dernières années. La partie amont est d’ailleurs la plus émettrice de GES dans les bilans carbone. Ainsi, La Coopération agricole a estimé, avec le concours de l’Iddri et du Céréopa, à 69 Mt les émissions de CO2 de l’ensemble de ses coopératives adhérentes, tous Scopes confondus. « Les trois quarts des émissions sont issus du Scope 3, c’est-à-dire de l’amont agricole », observe Carole Le Jeune, responsable carbone à LCA. Le Carbon experts, groupe composé d’élus et d’opérationnels de LCA, se penche sur les postes d’émissions de GES pour dérouler une feuille de route dans le respect des objectifs de la planification écologique. Des démarches de sensibilisation sont enclenchées. Un cycle de formation est déployé auprès des conseils d’administration à partir de la fresque climat et un module dédié. Un guide carbone est en cours et de nouveaux supports ont été récemment lancés avec LCA Solutions + : une série de podcasts et un module en ligne sur le bilan carbone et les leviers de décarbonation. Les entreprises sont en ordre de marche, d’autant plus si elles sont concernées par l’obligation de produire un bilan carbone, élargi au Scope 3 et à l’élaboration d’un plan de transition depuis un décret de juillet 2022. Ainsi, NatUp a atteint à ce jour la moitié de son objectif de 30 % de réduction de ses émissions à 2030 et Maïsadour compte arriver à la neutralité carbone en 2045. Côté négoces, la FNA a mis en place un groupe de travail carbone et des tests sont en cours chez les négociants en ce qui concerne l’approche carbone sur les exploitations agricoles. « Quant à la décarbonation des entreprises, nous allons nous baser sur la feuille de route décarbonation d’Intercéréales », avance Sandrine Hallot, directrice du pôle produits, marché et services. Une feuille de route qui sera dévoilée début 2024.
Aller dénicher des subventions
Conjointement à toutes ces implications, est traitée la question du financement. « Nous travaillons avec France Carbon Agri pour les crédits carbone. Et il faut aller chercher de la ressource financière dans la chaîne. Tout un travail de pédagogie est en train d’être déployé auprès de l’aval et de la grande distribution pour expliquer l’enjeu du Scope 3 », détaille Carole Le Jeune. 8 Mds€ seraient à mobiliser pour mettre en place une vingtaine de leviers de séquestration du carbone et d’atténuation « afin de réduire de 25 % les GES de nos agriculteurs d’ici 2030. Une grande question se pose alors : qui va payer ? »
Cette question se pose pour toutes les transitions à opérer et les besoins en financement vont sûrement augmenter. C’est pourquoi Unigrains prévoit de renforcer ses fonds propres afin de continuer à accompagner au mieux les entreprises de la filière agri-agroalimentaire (lire encadré). Un cabinet comme Acsio Conseil propose ses services pour aller dénicher des subventions publiques à l’échelle européenne, nationale, régionale, voire de la communauté de communes. « Nous accompagnons l’entreprise jusqu’au versement de la subvention, explique Paul Bodin, ingénieur d’affaires chez Acsio Conseil. Et nous nous faisons rémunérer uniquement au résultat. » Le montant de la subvention obtenue peut couvrir les dépenses éligibles entre 20 et 50 %.
Accélération des démarches RSE
Le volet du financement a pris un autre tournant avec des établissements bancaires devant prouver leurs efforts pour orienter les investissements vers des activités vertes, dans le cadre notamment de la taxonomie européenne. Aussi, pour accéder à des prêts bonifiés, voire éviter un malus, il va devenir difficile d’échapper à une démarche comme la RSE qui, à la base, est vertueuse pour l’entreprise. C’est pourquoi les fédérations étoffent leurs équipes de collaborateurs dédiés à ce sujet. LCA a une vingtaine de personnes sur Paris et en région. La Fédération du négoce agricole vient de prendre une personne en CDD de six mois pour la réalisation d’un outil destiné aux négociants. En dehors des groupes soumis à l’obligation de DPEF (déclaration de performance extra-financière), plusieurs coops se sont déjà engagées volontairement, depuis plusieurs années pour certaines, dans des démarches RSE et la publication d’indicateurs. Chez les négoces, le mouvement est plus timide même s’il commence à prendre un peu d’ampleur. « Nous publions depuis deux ans un livret RSE envoyé aux banques. Nous pouvons avoir un prêt à taux bonifié et plus facilement un accord des banques qui recherchent des entreprises bienveillantes et vertueuses. Et l’aval fait pression aussi », relate François Maxence Cholat du négoce éponyme et qui a commencé à s’intéresser au sujet il y a sept ans.
À défaut de la pression bancaire, c’est la nouvelle directive européenne CSRD et son rapport de durabilité (lire encadré ci-contre) qui pourrait mener un certain nombre d’entreprises, en tant que fournisseurs de groupes alimentaires ou de la grande distribution concernés par cette règlementation, à la publication d’indicateurs. L’idée était déjà présente dans la NFRD, mais elle se trouve renforcée avec la CSRD. Tout comme le reporting devient plus complexe à établir. C’est là que le cabinet de conseil Agriviz propose ses services à partir de la solution de reporting extra-financier de la société Oracle qui a été adaptée au secteur agro-alimentaire. « Les entreprises vont se concentrer sur la collecte de données et le calcul des indicateurs et risquent de manquer de temps pour mettre en place le système de consolidation et de pilotage de ces informations », explique Guillaume Nanot, président d’Agriviz. En outre, la CSRD exige des fichiers auditables, et les fichiers Excel n’ont pas cette aptitude. « Il va falloir entre six et douze mois pour mettre en œuvre un projet de système de pilotage CSRD dans les entreprises. »
Hélène Laurandel
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